River Mouth Echoes reviewed by Improjazz (FR)

Au Nord de l’Europe, depuis 1995, il y a SPUNK. Quatre femmes, quatre ogresses du son et quatre fois plus de spectres du bruit, pratiquant l’improvisation libre et collective autour d’une musique qui ne raffinerait pas mais étirerait sa matière première – brutale et luxuriante. Parmi elles, Maja Ratkje, joue de la musique avec sa voix, ses filets de voix, ses susurrements, ses sifflements, ses fredonnements, ses grommellements, ses grognements, ses hurlements, ses parlers et ses chants, tous leurs échos et leurs détournements par des machines désirantes. Ce sont des voix qui remontent rampantes sur les parois de la gorge, gagnées et hantées par d’autres voix, des voix déformées comme on « déforme des paroles ». La belle sorcière, ou la sombre sirène Ratkje, organise les sons à la manière d’un scénographe agissant sur l’espace. Sur Wintergarden, par exemple, sa voix passe d’un écho de souffle – « You can trust me » – à la vaste épouvante de cris stridents. C’est un conte cruel, une mise en scène de la beauté convulsive retournant à la majesté d’un chant oublieux. Maja Ratkje n’a peur de rien – rien dans ce qu’il est possible de faire avec les bruits, de l’extrême finesse à l’extrême virulence, ne lui est source de tracas. Elle craque des allumettes, franchit des sas, éteint la lumière. Et puisque, communément, on produit de la musique à partir d’un endroit situé entre les corps, les instruments, les appareils et les programmes – le musicien est partout entre son corps et les objets du monde -, elle ne se prive pas non plus d’enchevêtrer les sources au moyen de son barda électronique. River Mouth Echoes réunit plusieurs de ses œuvres, enregistrées entre 1997 et 2005, où Maja Ratkje n’intervient directement que sur la moitié des morceaux. Encore qu’intervenir, ici, signifie souvent : traiter et retraiter la matière sonore extraite d’un saxophone (ØX et Sinus Seduction (Moods Two)) ou de sa propre voix (Wintergarden), sans la raffiner, toujours pas : en la trafiquant. La sibylle norvégienne ne se contente pas de jouer de tous les timbres de sa voix, des fréquences et remodelages de ses effets électroniques, elle bouleverse aussi des sons « intacts », dans ses compositions pour trio, là où les harmoniques lissantes d’un accordéon se mêlent aux plumes lissées d’une contrebasse et d’un saxophone (sur Essential Extensions) ; pour quatuor de violes de gambe, là où les basses permanentes disparaissent dans un fil, un filet, un filon, un filament d’or (sur River Mouth Echoes) ; pour orchestre, là où les revirements de brusques diminuendo remplacements des lignes mélodiques (sur Waves IIb). Comme si cet art inquiétant, en faisant dialoguer les voix déformées, révélait l’éclat, brutal et luxuriant, criant de vérité, des sons détournés. « Des choses arrivent » … provoquées par cette femme étrange.

(Cécile Even & Alexandre Pierrepont)

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